Obnubilés par la politicaillerie, les médias serviront dès demain à leur audience le quota de polémiques (vraies ou fantasmées), phrases assassines et « body language » censé dire quelque chose. On en oublierait presque qu’il y a du poison au menu de cette rentrée parlementaire. La toujours efficace Leela Devi Dookhun pose, en effet, deux questions de la plus haute importance au ministre de l’Agro-industrie. Elle interroge Satish Faugoo sur ce que tous les Mauriciens ingurgitent à petite dose, et sans s’en rendre compte, depuis des années.
La députée veut savoir, d’une part, si des analyses régulières sont effectuées sur les fruits et légumes vendus au marché pour y déceler des résidus de pesticides et, si oui, en connaître les résultats. D’autre part, l’élue du MSM demande au ministre de l’Agro-industrie si le même type de test est effectué pour détecter, dans l’eau prélevée des nappes phréatiques, la présence de résidus chimiques issus de l’agriculture. Leela Devi Dookhun soulève, là, une question de santé publique cruciale. Le drame, toutefois, c’est que ni les autorités, ni les médias et encore moins le grand public n’accordent à ce sujet l’intérêt qu’il mérite.
Les conséquences du laisser-aller dans ce domaine peuvent, pourtant, être gravissimes. Des études effectuées sur de longues périodes ont permis de déterminer qu’il existe un lien direct entre la présence de résidus de pesticides sur les fruits et légumes et la prévalence de certains types de cancer. C’est ce que démontre un rapport, publié en juin, de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale en France. D’autres études ont, elles, souligné la relation entre la sur-utilisation de pesticides et la survenue de certains désordres neurologiques et hormonaux.
A Maurice, l’absence d’analyses systématiques et de données sur le long terme ne permet pas encore d’établir une relation directe entre la progression constatée des différents types de cancer dans le pays et l’utilisation outrancière de pesticides dans nos champs. Si le lien de causalité n’est pas encore établi, la sur-utilisation des pesticides, fongicides et autres herbicides dans nos champs a, elle, bien été constatée.
Ainsi, en 2012, la moitié des fruits et légumes analysés par le ministère de la Santé contenaient des traces de pesticides. Malgré cela, certaines personnes, comme le directeur adjoint de l’Agricultural Extension & Research Unit (AREU), Ramesh Rajcumar, se montrent rassurantes en affirmant que les taux constatés ne sont pas susceptibles de mettre en danger la santé de la population. Manifestement, le gouvernement n’est pas du même avis que le responsable de l’AREU. Car le 22 mars dernier, le conseil des ministres a avalisé l’élaboration d’un Ecological Agriculture Action Plan visant à réduire l’utilisation de pesticides chimiques tout en promouvant les moyens alternatifs de contrôler les maladies et espèces nuisibles.
Labélisé « Maurice Ile Durable », ce plan d’action – dont on attend toujours la version finale – doit impérativement révolutionner la manière dont le sujet de la sur-utilisation de pesticides est traité à Maurice. Car jusqu’ici, le ministère de l’Agro-industrie ne s’est donné que très peu de moyens d’action dans le domaine. Au fil des derniers budgets, le « Programme 483: Development of Non-Sugar (Crop) Sector » du ministère de Faugoo a fait du « Monitoring of pesticide residue levels on crop produce » l’un de ses « Priority objectives ».
Mais une lecture des récents « Programme based budgets » ne permet malheureusement pas de quantifier la « priorité » accordée à la question. On n’y trouve, en effet, aucune indication du budget octroyé pour le suivi de la présence de pesticides sur nos fruits et légumes, encore moins le nombre de tests effectués sur ces produits agricoles. En fait, c’est en cherchant dans les documents budgétaires pour les années 2010 et 2011 qu’on a un début de commencement de réponse.
On découvre ainsi qu’en 2010, 225 tests ont été effectués sur nos fruits et légumes. Suivi d’un bond de géant de… 11 % pour les années suivantes, portant le nombre total de tests à 250 par an. En moyenne – en éliminant les weekends et jours fériés –, le ministère effectue ainsi à peine un test par jour pour déceler la présence de pesticides sur les fruits et légumes de nos marchés. C’est dire la colossale attention qu’accordent jusqu’ici le ministère et le gouvernement à la question !
Le temps n’est toutefois plus à la raillerie. Une question de santé publique aussi cruciale mérite qu’on y accorde l’intérêt qu’il mérite. Satish Faugoo a beaucoup de comptes à rendre. Leela Devi Dookun a beaucoup de questions à poser. Au-delà des points politiques à marquer, l’exercice de demain doit pouvoir établir deux choses : d’abord, les actions concrètes que prend le gouvernement pour solutionner ce problème. Ensuite, un calendrier précis avec des moyens engagés et chiffrés pour faire en sorte que 1,3 million de Mauriciens n’aient pas du poison au menu à chaque fois que – croyant bien faire –, ils achètent des fruits et légumes du marché.
Le reste. Le grand retour de Bérenger. La mine Ramgoolam. Tout le reste est secondaire.