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Never put too much trust in friends

Il a récidivé ! Nous ne parlons pas du poétique « ignorant pig » lancé récemment par Navin Ramgoolam à l’encontre de Pravind Jugnauth. Mais plutôt du bouquet de compliments qu’il a adressé à ses ministres. C’était dimanche, lors du lancement des festivités de Divali au Hindu House.

Le Premier ministre a trouvé moyen, une nouvelle fois, de bien dire qu’il ne leur fait pas confiance. Révélant que ce sont des « Dushman » (ennemis en hindi) et des judas de son propre camp qu’il craint.

Le spectacle de Ramgoolam dénigrant ses ministres n’a rien d’exceptionnel. Après un discours remarqué d’Arvin Boolell à l’Onu, il avait expliqué avoir personnellement dû corriger le texte quatre fois ! Plus récemment, le Premier ministre a également précisé que sa vision a davantage de valeur que celle de tous ses ministres réunis.

Ramgoolam a aussi déjà admis avoir demandé à certains membres de son gouvernement -un peu trop portés sur l’argent – de…je cite : « aller faire du business au lieu d’être ministre. »

Ceux qui veulent analyser ce modus operandi de Ramgoolam de manière superficielle, diront qu’il se sait entouré de transfuges. Que ses discours ne sont donc que l’illustration de sa frousse d’être trahi. Il y a bien évidemment un peu de cela dans le comportement du chef du gouvernement.

Tout comme il y a un peu de repentance. Car, que nous dit Ramgoolam à chaque fois qu’il injurie ses ministres ? En fait, il admet prendre de très mauvaises décisions quand il s’agit de choisir ses collaborateurs. « Putting skills first » est un slogan que le Premier ministre serait incapable d’adopter. Tant toutes sortes de considérations politiques, ethniques, et claniques l’en empêchent.

C’est là qu’il faut toutefois prendre de la distance. Car le comportement de Ramgoolam ne serait pas beaucoup plus différent s’il était entouré de personnes compétentes. Rama Sithanen en sait quelque chose.

C’est que le Premier ministre, fort ou faible des épreuves et trahisons subies, s’est forgé une philosophie précise. C’est sa marque, profondément inspirée d’un ouvrage sur le pouvoir qu’il chérit particulièrement. Le deuxième chapitre du livre porte le titre explicite : « Never put too Much Trust in Friends, Learn how to use Enemies ». C’est une leçon que Ramgoolam a apprise depuis très longtemps et qu’il ne cesse d’appliquer.


Derrière le chaos

Version texte de l’édito du jour sur Radio One.

C’est le principe de la théorie du chaos. Ce qui, à première vue, semble un désordre indicible devient clair…A condition de prendre suffisamment de recul.

Regardons ainsi l’imbroglio au ministère des finances. Si Xavier Duval rafle souvent le titre de ministre des finances africain de l’année, les spécialistes locaux le jugent sans substance ni vision.

Pour ne rien arranger, alors qu’il aborde la ligne droite de son prochain budget, Duval perd son bras droit Ali Mansoor. Connu pour son approche « no-nonsense » à la limite de l’impolitesse et son penchant « business friendly ».

A peine Mansoor parti, il est remplacé, non pas par un proche de Duval, mais par Dev Manraj. Devenu le joker en puissance du Premier ministre à chaque situation difficile.

C’est là qu’il devient crucial de prendre du recul afin de ne pas se perdre dans le chaos ambiant. En faisant coïncider le temps budgétaire au temps électoral.

Installé au pouvoir en décembre 1995, Navin Ramgoolam avait appelé les Mauriciens aux urnes dès septembre 2000. Il n’avait pas, non plus, attendu 5 ans pleins… après sa reconquête de juillet 2005 pour fixer les élections au 5 mai 2010. On peut ainsi raisonnablement prédire que les prochains scrutins auront lieu au plus tard fin mars 2015.

Mais voila, la campagne se déroulera alors en pleine saison cyclonique. Période à laquelle ne sont jamais organisées des scrutins nationaux. A l’exception des Legislative Council elections du 9 mars 1959.

Reste donc la possibilité [et ce sera là une première pour Ramgoolam] de les fixer bien après mai 2015. Ou ce qui est plus probable… en décembre 2014.

Voila qui remet du coup les deux prochains discours budgétaires de Xavier Duval en perspective. Celui qu’il va prononcer dans quelques jours pourrait ainsi donner le ton électoral. Avant que celui de novembre – ou même fin octobre 2014 ‑ ne parachève le plan de Ramgoolam. Dont on dit qu’il se résout désormais à aller seul aux prochaines élections.

A l’opposé de ses prédécesseurs bravaches, Duval aime à redire qu’il ne présente pas SON budget mais celui de l’alliance Travailliste/PMSD.  Il ne croira pas si bien dire à partir de maintenant. Flanqué d’un Financial Secretary en service commandé par le PMO…et probablement sommé d’exécuter une liste de commissions essentiellement rédigée par Ramgoolam et ses conseillers.

Duval retournera vite à ses premiers amours : la comptabilité et l’équilibre des comptes. En laissant la politique économique, ou plutôt la politique tout court, à celui qui a désormais un unique objectif : activer le dispositif économique qui lui fera gagner les prochaines élections.


« L’OPNI » du MMM

Après avoir dénoncé le « scandale du siècle » pour ensuite s’acoquiner avec ses principaux protagonistes, le MMM révèle son idée du siècle : rabaisser l’âge légal du vote à 16 ans. D’abord pour les élections régionales, pour ensuite étendre le principe aux législatives. Cet objet politique non identifié, matérialisé ex nihilo par le patron des mauves, a de quoi surprendre. Car à une dizaine de jours de la rentrée parlementaire, Paul Bérenger ne manque pas d’ingrédients pour cuisiner le gouvernement à l’intérieur et hors des murs de l’Assemblée nationale.

Mais le leader de l’opposition a choisi de prendre de la hauteur et propose sa nouvelle grande idée. Présentée comme un game changer de notre démocratie, le droit de vote à 16 ans n’est pourtant pas une avancée aussi cruciale et pressante que voudrait le faire croire le leader des mauves. Si c’était le cas, de nombreuses démocraties, plus dynamiques et progressistes que la République de Maurice, l’auraient déjà adopté. Le vote à 16 ans n’est, en fait, une réalité que dans une poignée de pays.

L’Autriche, le Brésil, Cuba ou la Bosnie Herzégovine figurent, en effet, parmi les quelques rares Etats à avoir adopté ce principe. L’Allemagne et la Suisse sont les deux seules grandes démocraties à permettre aux jeunes de 16 ans de voter aux élections régionales. En Angleterre, si les libéraux défendent avec vigueur le rabaissement à 16 ans du droit de vote, le gouvernement de David Cameron y est, lui, opposé. Les démocraties scandinaves, connues pour leur progressisme endémique, ne font pas non plus figurer ce sujet parmi leurs priorités sociales.

Deux considérations pratiques dictent d’habitude l’abaissement de l’âge du vote. La première est démographique. De nombreux pays, surtout les plus développés, connaissent un phénomène de vieillissement de la population. Ce qui entraîne, dans certains cas, une certaine fixation des mœurs de vote au sein de la population. Permettre aux plus jeunes de voter équivaut, dans ces situations-là, à redynamiser le comportement électoral d’un pays.

Maurice, dans environ 20 ans, sera confronté à ce type de situation. La pyramide nationale des âges montre, en effet, que la population de jeunes régresse au fil des années tandis que la proportion de personnes dans les catégories d’âge supérieures augmente. La question de l’abaissement de l’âge du vote deviendra donc effectivement pertinente. Mais l’est-elle avec autant d’années d’avance ? Ce n’est pas certain…

Parallèlement à la justification politico-démographique, l’abaissement de l’âge du vote semble aussi se justifier du point de vue sociétal. Les Américains avaient conquis le droit de vote à 18 ans en soulignant l’ineptie d’un jeune de cet âge devant aller combattre au Vietnam sans pour autant avoir le droit de voter dans son pays. On pourrait pasticher l’approche américaine en se demandant si le jeune mauricien de 16 ans, légalement apte à avoir une relation sexuelle – et donc à procréer peut assumer la responsabilité de choisir ses conseillers municipaux et de village ou encore ses députés…

Probablement oui. Le leader de l’opposition semble justifier son initiative en affirmant que les jeunes de moins de 18 ans ont soif d’exprimer leur opinion politique. C’est peut-être le cas, mais veulent-ils le faire dans l’isoloir et à travers les partis politiques installés ? Puisque les études d’opinion politique sondent les Mauriciens en âge de voter, peu de données existent, en fait, sur la proximité politique, voire les comportements électoraux futurs des jeunes de moins de 18 ans.

Toutefois, sans avoir recours aux sondages, des réalités bien locales existent. Il y a, d’une part, la grande dose de tradition familiale dans l’affiliation politique à Maurice. Des familles votent en effet rouge, bleu ou mauve de père en fils. D’autre part, avec le leadership vieillissant des principaux partis, une frange importante de jeunes se dit insensible aux personnalités politiques et aux discours actuels.

L’abaissement du droit de vote à 16 ans pose ainsi un curieux paradoxe. Si une telle décision est appliquée, elle aura trois conséquences. Premièrement, une partie des jeunes de 16 ans votera exactement comme le font déjà leurs parents. Deuxièmement, une autre partie ayant acquis le droit de vote mais indifférente au personnel politique en place ne l’exercera pas le jour du scrutin. Ou alors décidera de voter pour des formations politiques alternatives. En vain, car en l’absence d’une dose de proportionnelle, notre système First Past the Post gomme l’effet du suffrage exprimé par les jeunes en faveur de candidats ou de partis moins établis. En troisième lieu, une infime minorité, séduite par les idées des formations politiques en place et défiant la tradition familiale, choisira un nouveau camp. Situation qui, admettons-le, ne risque pas de faire basculer le rapport de forces politiques dans un sens comme dans l’autre.

Les problèmes les plus complexes ont, en fait, des solutions simples. Si ce à quoi aspire Paul Bérenger est une plus grande participation des jeunes au processus électoral, deux réformes sont nécessaires. D’abord celle, électorale, permettant enfin à toutes les opinions exprimées dans les urnes de compter. Ensuite, celle du leadership politique. Dont le rajeunissement, ainsi que la mise à la retraite définitive des Jugnauth, Bérenger et Ramgoolam, fera croire aux jeunes qu’une vie politique est possible au-delà des leaders inamovibles. Cette réforme-là n’est malheureusement pas pour demain.


On (se) fiche (de) qui ?

Ils y voient l’empreinte d’une conspiration. Visant à tous nous ficher afin de mieux nous contrôler. C’est au nom des libertés fondamentales que les opposants à l’introduction de la nouvelle carte d’identité nationale biométrique mènent leur croisade. Certains devant les tribunaux, quelques-uns dans la rue et d’autres sur les réseaux sociaux. Portée par les milliers de signatures recueillies sur le Web, enhardie par sa défaite devant la Cour suprême – ou la demi-victoire, selon là où l’on se place –, la contestation redouble d’effort. Dans leur saine excitation toutefois, les têtes pensantes du mouvement omettent de voir le tableau d’ensemble.

Certes, ils n’ont pas tort de dire que la cause est entendue. La Grande-Bretagne, la patrie de la vidéo surveillance, mais aussi de la Magna Carta, a abandonné le principe d’une carte d’identité biométrique depuis 2010. Un revirement spectaculaire, car des milliers d’ID cards étaient déjà en circulation. L’an dernier, c’est le Conseil constitutionnel français qui s’est prononcé contre la création d’un fichier unique répertoriant toutes les données biométriques des détenteurs de la carte d’identité française. La carte d’identité biométrique pose donc problème ici comme ailleurs. Mais le combat se limite-t-il simplement à dire non à celle-ci ?

Dans leur empressement à dénoncer un aspect du problème, les opposants en oublient les autres. Car la biométrie et l’utilisation de données personnelles des Mauriciens est une pratique déjà bien installée dans le pays. Le recueil des empreintes digitales, l’aspect jugé le plus choquant de la nouvelle carte d’identité, est une pratique courante chez des centaines d’entreprises et d’institutions publiques. Elles y ont recours pour répertorier les allers et venues de leurs collaborateurs.

Mais où sont stockées ces données d’empreintes ? Qui y a accès ? Les empreintes recueillies par les administrations publiques sont-elles transférées vers un serveur central ? Et si oui, dans quels cas peut-on y accéder ? Ces questions ne semblent pas avoir été posées précisément. Les réponses, en tout cas, ne sont pas du domaine public.

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Ce qui demeure flou également, c’est le fonctionnement des deux grands opérateurs de téléphonie mobile du pays : Orange et Emtel. Puisque le combat actuellement mené est celui des libertés individuelles et du respect de la vie privée, il est peut-être aussi temps de comprendre la nature des obligations légales de ces deux opérateurs envers l’Etat. La lecture d’une Public Land Mobile Network Licence qu’octroie l’Information and Communication Technologies Authority (ICTA) s’avère édifiante.

Ainsi, chaque opérateur mobile, pour des « national security reasons », a l’obligation « at all material times » de mettre à la disposition de l’ICTA ou de toute autre institution désignée « all monitoring facilities at its own cost ». Sauf qu’on ne sait pas qui gère au quotidien ces « monitoring facilities », encore moins qui y accède et selon quel protocole d’intervention, sur ordre de qui et surtout dans quel but. Dans un pays disposant de plus d’abonnements de téléphonie mobile que d’habitants, la possibilité d’intrusion dans la vie privée de chaque citoyen est quotidienne. Or jusqu’ici, cela n’a pas semblé être un motif suffisant pour déclencher le même type de réaction qu’avec la carte d’identité nationale.

Aucune réaction, non plus, face à la machine à intrusion planétaire : Facebook. Il y a quelque chose de profondément paradoxal dans l’action des opposants à la nouvelle carte d’identité. Un peu plus du quart de la population locale détient un compte sur la plateforme de Zuckerberg. Or, à chaque fois qu’un utilisateur du réseau social accepte d’utiliser un jeu ou de télécharger une application, toute une série d’informations privées sont captées par Facebook. Elles vont du nom des amis du facebookeur aux derniers lieux visités, en passant par son statut marital ou sa préférence politique. Au final, dénoncer la nouvelle carte d’identité nationale en utilisant lourdement le réseau social, c’est comme participer à une manifestation pour la paix dans le monde avec une kalachnikov et un bazooka en bandoulière !

Si l’aspect parcellaire de l’action des opposants à la carte d’identité nationale peut déranger, le questionnement général au sujet de cette initiative du gouvernement doit être peaufiné. Il y a, en fait, deux problèmes à résoudre.

D’une part, le manque de confiance totale d’une partie de la population dans le gouvernement. Elle s’inquiète, à juste titre, de l’utilisation à des fins inavouées de données personnelles censées d’abord sécuriser la nouvelle carte d’identité. C’est au gouvernement de démontrer que cette crainte est injustifiée. Tout comme c’est à lui de s’assurer qu’une institution indépendante et compétente atteste de la bonne utilisation de la base de données biométriques des Mauriciens. Confier cette tâche au Data Protection Office, placé sous la tutelle du bureau du Premier ministre, serait grossièrement contreproductif.

D’autre part, il s’agit d’ouvrir un débat plus large sur l’état de la protection des données et des informations privées à Maurice. A l’ère du tout technologique, le pays ne peut plus faire l’économie d’un tel débat national. Il y va de la protection de la vie privée de chacun des 1,3 million de Mauriciens. Au final, il s’agit de prévenir l’instauration d’un Etat policier et sécuritaire rendu enfin possible par la technologie.


Ticket perdant

Ce n’est pas tous les jours qu’il nous est donné d’assister à une situation aussi invraisemblable. En effet, un opérateur économique dont les revenus s’apprêtent à connaître une hausse appréciable, arbore d’habitude une mine réjouie. Or, depuis l’annonce, ce vendredi, de la hausse de 12 % du ticket d’autobus à partir du 1er août, de nombreux acteurs du secteur du transport en commun font grise mine.

La Bus Owners Cooperative Federation exprime sa désapprobation clairement, tandis que les autres compagnies d’autobus se murent dans un silence gêné. Pourquoi donc cette réserve? Même si le secteur du transport en général connaît quelques diffi cultés – malgré la bonne santé affichée par quelques compagnies comme Triolet Bus Service –, l’augmentation du ticket d’autobus ressemble étrangement à une bouée lancée principalement pour sauver la Corporation nationale de transport (CNT) de la noyade. L’augmentation de 12 % de ses recettes a une double finalité. D’abord, lui permettre de payer, en partie, les frais de maintenance et de renouvellement de sa flotte dont la qualité est fortement décriée. Ensuite, dégager un peu de marge supplémentaire afin de financer l’augmentation salariale de 15 %, 2 % et 2 % des employés de la compagnie publique durant les trois années à venir.

C’est la logique Xavier Duval à l’oeuvre : le consommateur paie. Le ministre des Finances n’avait pas manqué de rappeler, en mai dernier, qu’augmenter les fonctionnaires du pays à travers les recommandations du Pay Research Bureau coûtera à chaque Mauricien Rs 4 300 par an. Anil Bachoo, le ministre des Transports, pourra demain l’émuler en expliquant que si le voyageur veut un meilleur service – dans un bus récent, fi able, bien entretenu et d’un receveur aimable car bien payé –, il lui faudra consentir à payer 12 % de plus pour son trajet. Cette approche est cynique à souhait. Elle permet à Anil Bachoo de balayer d’un revers de main les récriminations des opérateurs de bus qui se passeraient bien d’une augmentation du ticket.

Ceux-ci pensent que leur situation financière pourrait s’améliorer si on contrôlait réellement le nombre de taxis et vans « marrons » en circulation. Mais le lobby de ces opérateurs informels existe et a probablement mis ses votes dans la balance. Par ailleurs, la CNT a besoin de rentrées d’argent assurées, pas d’une chasse aux « marrons ». Résultat : l’augmentation de 12 % est présentée comme l’unique solution qui convient à tous. Elle ne convient pas, en tout cas, aux syndicats et aux associations de consommateurs. La Union of Bus Industry Workers dénonce la transformation des travailleurs de l’industrie en «boucs émissaires» au lieu de s’attaquer à la « mal-administration » des compagnies de transport : CNT en tête.

Tandis que les associations de consommateurs s’offusquent d’un énième coup de poignard porté aux consommateurs déjà affectés par la conjoncture économique morose. Il est cependant évident que les remontrances des uns et des autres n’auront aucun effet sur l’application de la décision à partir du 1er août. C’est d’ailleurs ce jour-là que le Premier ministre rentre au pays après une mission officielle en Europe. Entretemps, Anil Bachoo aura eu le temps d’essuyer la tempête qui s’abat sur lui, cantonnant davantage le ministre des Transports comme l’un des hommes politiques les moins appréciés du pays.

Mais c’est probablement avec cette intention que Ramgoolam laisse son ministre braver seul la tempête tandis qu’il s’en isole à Paris et Londres. Mais s’isolera-t il longtemps d’une autre décision du Conseil des ministres qui a été complètement occultée par l’annonce de la hausse du ticket d’autobus ? Car vendredi, les « développements relatifs à la mise en œuvre du projet de métro léger» ont également été constatés par l’équipe de Ramgoolam. Or, ce projet, même s’il a été conçu pour complémenter le système des transports par autobus existant, aura néanmoins un impact direct sur la fréquentation, et donc le fonctionnement et la rentabilité des principaux opérateurs du secteur à terme.

Quand le projet métro léger sera une réalité, une augmentation de 12 % du ticket ne constituera alors en rien une solution aux problèmes structurels et conjoncturels auxquels les transporteurs feront alors face. Pour maintenant, aussi bien pour l’avenir, c’est d’une réflexion sur la réorganisation et le fonctionnement de notre système de transport en commun dont le pays a besoin. De stratégie à long terme. Mais le gouvernement nous sert une augmentation de 12 % en guise de réponse. C’en est une mauvaise car trop simpliste. On finira par s’en rendre compte… dès la prochaine hausse du prix du carburant.


Le vœu pieux de Nita

«Quand je suis rentré à Maurice pour la première fois après mes études, je n’étais pas du tout d’accord sur beaucoup de choses avec mon père. Notamment sur ce principe dont tu me parles. J’étais comme toi. Mais j’ai réalisé ensuite ce qui était en jeu et le travail qui était en train d’être fait… Un jour, peut-être, tu comprendras. » C’est la transcription des propos que Navin Ramgoolam a tenus, il y a quelque temps, à un interlocuteur qui lui reprochait sa trop grande proximité avec le monde socioculturel. A-t-il pu tenir le même raisonnement, à un moment ou un autre, à Nita Deerpalsing ?

La députée travailliste a présenté une private motion, ce vendredi au Parlement, pour réclamer trois choses : que le mot « secular » soit utilisé pour qualifier notre démocratie dans la Constitution, l’élaboration d’un code de conduite régissant les relations entre politiques et religieux, et la réforme du système d’aide étatique et privée aux religions du pays. Difficile de remettre en question les propositions de la députée de Belle-Rose/Quatre-Bornes, tant elles relèvent du bon sens.

L’opposition ne s’est d’ailleurs pas fourvoyée sur le sujet en affichant, à travers son leader Alan Ganoo, son soutien à la private motion de Deerpalsing. Mais quand on est dans la politique, un fossé gigantesque peut séparer ce qui est souhaitable de ce qui est faisable.

Si l’opposition a officiellement soutenu Deerpalsing dans sa démarche vendredi, très peu de ses membres tiennent le même raisonnement en temps normal. Steven Obeegadoo est ainsi l’un des seuls à soulever avec constance la question de la séparation entre le religieux et le politique au MMM. Ce qui ne lui vaut pas nécessairement l’amitié de ses propres collègues de parti, qui se plaisent alors à rappeler que l’ancien ministre de l’Education vit dans « une tour d’ivoire ».

Religion-and-Politics

Ce n’est pas étonnant d’entendre ce genre de critique. Car tous les partis politiques du pays comptent sur le soutien de chefs religieux pour se constituer une caisse de résonance au sein des différentes communautés et ethnies du pays. Chaque Premier ministre a ainsi eu ses Ramdhun, Dayal, Santokhee, Dulthumun, Manohur ou Bahadoor, pour ne citer que ceux qui ont assumé cette fonction auprès de la composante majoritaire de la population.

Certains, comme sir Anerood Jugnauth, ont pu le pratiquer plus ou moins discrètement pendant un temps. Tandis que d’autres, comme Bérenger, ont poussé l’effort jusqu’à se déguiser pour mieux emberlificoter ceux dont ils ont, en vain, espéré le soutien. Depuis 2005, Ramgoolam a porté ce jeu malsain à son paroxysme. En faisant de certaines associations socioculturelles ses auxiliaires de propagande tout en se réservant,  par moments, le rôle de les défendre personnellement face aux critiques justifiées à leur égard.

C’est cet ordre établi qu’a contesté Nita Deerpalsing en proposant sa private motion vendredi. Consciente que sa position laïciste du passé ‑ elle a réclamé un temps l’arrêt pur et simple des subventions aux religions – poserait problème, la responsable de l’aile jeune du Parti travailliste ne réclame aujourd’hui qu’une réforme dans le financement (public et privé) des subventions aux religions. En arguant désormais que ses lectures sur l’impossibilité de cloisonner strictement religion et Etat l’ont amenée à prôner une position plus souple.

Mais on ne peut non plus s’empêcher de penser qu’une conversation avec son leader a pu lui faire comprendre les impératifs du jeu politique local. Si on pousse le cynisme plus loin, on pourrait même se demander si la violente sortie contre elle et l’immunité permanente dont semble jouir l’auteur de cette sortie – qui aime s’enorgueillir des « 400 000 votes qu’il contrôle » ‑ n’ont pas influé sur la posture toujours progressiste mais désormais plus mesurée de Deerpalsing.

Car avec huit ans au compteur comme députée, Deerpalsing doit s’être rendu compte que des réformes électorales ou institutionnelles, aussi ingénieuses soient-elles, ne changeront pas certaines mentalités. Comme celle de ces opportunistes qui continueront à monnayer leur influence, fictive ou réelle, dans des cercles religieux et communautaires, contre des avantages personnels. Mais également celle de ces hommes politiques, ces éternels anxieux maladifs, qui contractent toutes sortes de polices d’assurances, y compris religieuses, pour prévenir le risque de défaite.

Deerpalsing doit bien le savoir. Pour que les choses changent réellement, il faudrait qu’un tsunami divin balaie aussi bien la classe politique que les dirigeants socioculturels en place. Mais voilà, les miracles ne se produisent que très rarement. Que ce ne soit toutefois pas une raison de s’affliger. L’espoir, dit-on, fait vivre. La foi aussi, probablement…


L’appel à l’aide

«Today’s leaders are failing on a grand, epic, global, historic scale – at precisely a time when leadership is sorely needed most. They’re failing me, everyone… » C’est au vitriol qu’Umair Haque, un gourou du management en devenir, peint le portrait des leaders actuels dans deux récents blogs de Harvard Business Review. Ce qu’il dénonce ne concerne bien évidemment pas que l’Angleterre, les Etats-Unis ou le Japon. Mais Maurice également.

Mais qui dénonce à Maurice ? Bien évidemment, il y a les « batiara » et autres « bourik » de l’opposition. Les « malades mentaux », « zanimo » et désormais « couillons » de la presse. Quelques syndicalistes « instrumentalisés » aussi. Qui d’autre, notamment dans le secteur privé ? Pas grand monde.

Dans un passé pas très lointain, peu après le retour au pouvoir de Navin Ramgoolam, Jacques de Navacelle, fraîchement élu président du Joint Economic Council, avait rué dans les brancards. En s’en prenant ouvertement au gouvernement et au manque de clarté de son action début 2006. A la faveur de la très business-friendly réforme économique Sithanen, la communauté des affaires était, à quelques exceptions près, largement rentrée dans les rangs. Se transformant même en ardent défenseur de la politique économique d’alors par occasion.

Lentement mais sûrement toutefois, un insidieux consensus des poltrons s’est installé envers le pouvoir. La critique de l’action, du manque de stratégie et du manque de leadership au sein du gouvernement ne se faisant plus qu’en aparté et sous le sceau de la confidentialité. En l’état, les seuls deux dossiers sur lesquels le secteur privé affiche encore ouvertement sa divergence avec le gouvernement sont les relations industrielles (droit du travail et compensation salariale) et dans une moindre mesure la politique monétaire (taux de change et d’intérêt).

Leadership

Il y a bien des raisons qui expliquent cela. Dans un pays où, en théorie, toutes les décisions administratives sont « rule-based », la pratique démontre tout le contraire : que la raison politique peut l’emporter sur toutes les autres considérations. Il n’y a qu’à lire les propos du président de la Corporation nationale de transport pour s’en convaincre. Si la CNT est une entreprise publique, l’interventionnisme politique peut prendre des formes insolites dans le privé. Comme le blocage savamment orchestré de projets déjà approuvés en principe.

Il faut ainsi, par exemple, s’imaginer cette sueur froide perler sur le visage d’un important CEO de Mauritius Inc quand un responsable politique de premier plan, venu poser la première pierre de son projet foncier, se rend compte que l’Etat a peut-être été trop généreux dans l’attribution de certains permis à l’égard de son entreprise. Et que tout le développement mérite potentiellement d’être revu !

Ce type de volte-face directement lié à l’humeur du moment ou aux motivations cachées des politiques est non seulement possible mais il se produit même plus souvent qu’on ne le pense. Plus que la rhétorique quasi-raciste – du genre « charbon blanc/charbon noir » – c’est la menace latente de ce type de blocage intempestif qui a conduit la quasi-totalité des patrons de Mauritius Inc à maintenir un profil bas à l’égard du gouvernement et de son chef.

Le business devant néanmoins continuer à tourner, plusieurs grands pontes du privé préfèrent, depuis quelques années, les rencontres en tête à tête pour débloquer un éventuel dossier en souffrance. Plutôt que de parler d’une seule voix forte au nom du secteur privé pour rappeler le gouvernement à l’ordre par rapport à ses devoirs pour assurer le développement du pays.

C’est dans ce climat de retenue qu’une voix s’est néanmoins clairement fait entendre cette semaine. Celle du CEO de GML, le plus important conglomérat du pays. Dans un entretien à Business Magazine, mercredi, Arnaud Lagesse se désole du fait « que notre leadership politique ne fait pas ce qu’il faut » tout en s’inquiétant « des journaux remplis de scandales [et de la] corruption omniprésente », avant d’appeler à ce qu’un « nouveau souffle s’installe sur Maurice ».

On peut choisir de lire de deux manières les propos du CEO de GML. D’abord n’y relever qu’une redite de la critique ambiante contre le pouvoir. Ou alors y discerner un appel à l’aide – lancé par le plus puissant acteur de Mauritius Inc – face à une crise du leadership qui pourrait nous coûter très cher à l’avenir. Il n’y a, selon nous, aucun doute à avoir sur le sens des propos de Lagesse. Relisons Haque pour s’en convaincre : « most of our so-called leaders are wannabes: those who want to be seen as leaders, without leading us anywhere but into stagnation, decline, fracture, fear, apathy, and comfortable, cheap pleasures that numb us to it all. » Cela ne vous rappelle rien ?

 


La réforme du chef

C’est l’une de ces anecdotes qui prêtent à sourire. Probablement parce qu’elle est inconnue du grand public. Le rapport Sithanen sur la réforme électorale est né d’un coup de gueule. Celui de Rama Sithanen à l’encontre des recommandations du défunt professeur Guy Carcassonne en décembre 2011. Craignant les retombées « cataclysmiques » de l’application d’un rapport dont certains aspects avaient fait « tiquer » Ramgoolam, l’expert en systèmes électoraux avait décidé de perdre le sommeil pendant un mois afin de faire une contre-proposition beaucoup plus connectée aux réalités et besoins locaux.
Cela déboucha sur la publication, fin janvier 2012, du rapport Sithanen, d’une nouvelle table de la loi électorale dont le commandement implicite était : « Avec ton adversaire politique le plus puissant, tu koz-kozeras » ! Accessoirement – et de l’aveu du Premier ministre à l’express dimanche –, ce document constitue l’ossature du White Paper qui doit être rendu public d’ici fin juillet. Celui-ci, croyait-on savoir, n’allait stricto sensu s’intéresser qu’aux lois électorales.
C’est ce qui risque de se produire, car si Ramgoolam s’est prononcé à plusieurs reprises sur l’élargissement de la réforme aux institutions et au financement des partis politiques, le MMM s’est, lui, régulièrement opposé à la vision du partage de pouvoir entre le président de la République et le Premier ministre. Tandis que le MSM a pu exprimer quelques réticences sur la mise en œuvre d’une loi sur le financement des partis politiques.
Et voilà que Sithanen revient, cette semaine, en jetant un pavé dans la mare. Ou, plutôt, en ramassant un pavé déjà lancé par Guy Carcassonne : la proposition de nommer des ministres non élus. Le défunt constitutionnaliste français avait été clair dans son rapport. L’impossibilité de nommer des ministres hors du Parlement est « pénalisante car elle prive (…) la Nation (…) de personnalités de qualité (…) prêtes à rejoindre le gouvernement si elles en étaient sollicitées, mais qui ne seraient pas prêtes à renoncer aux activités professionnelles qui sont les leurs à seule fin de commencer par briguer un mandat électoral qui peut ne les attirer nullement ».
Cette proposition avait été dénoncée par les bigots westminsteriens qui voyaient là une usurpation de la souveraineté des électeurs, une trop grande concentration de pouvoir dans les mains d’un Premier ministre déjà omnipotent…. et la menace d’une technocratie émergente. Un technocrate connu et reconnu, Rama Sithanen était lui-même tiède à cette idée à l’époque. L’ancien ministre des Finances semble avoir mis un peu d’eau dans son vin à ce sujet. Car il s’est prononcé cette semaine en faveur de la nomination de ministres non élus.
Carcassonne suggérait la nomination d’un tiers du gouvernement (il voulait probablement dire Conseil des ministres) en dehors de l’Assemblée nationale. Sithanen abonde dans le même sens en proposant 25% à 30%. Ce qui donnerait ainsi la possibilité au chef du gouvernement d’avoir la latitude totale de nommer 6 à 7 de ses ministres préférablement en se fondant uniquement sur des critères de compétence et non d’appartenance à telle ethnie ou groupe de pression politique ou économique.
Il ne fait aucun doute que cette solution présente de nombreux intérêts. Au-delà de l’apport de compétence au sein du gouvernement, il permettrait également à la fonction publique d’être dirigée par des policy makers venus du privé apportant une dose de rigueur technocratique non polluée par des considérations (trop) partisanes. Entourée d’une telle équipe, on voit mal le Premier ministre ne pas mettre en œuvre les projets ambitieux qu’il évoque à chaque publication de discours programme.
Sauf qu’il y a un problème. Il se nomme Navin Ramgoolam ! Le Premier ministre peut, en effet, continuer à blâmer l’incompétence de ses ministres à qui il « ne fait pas confiance ». Mais le problème est ailleurs. La meilleure écurie de formule un ne gagnera jamais si le pilote aux commandes de son bolide ne prend pas les bonnes décisions de course au moment où il faut. C’est justement là le problème de Ramgoolam. Suspicieux, attentiste, jaloux de ses prérogatives, le chef du gouvernement ne sait pas déléguer et cherche systématiquement à avoir le dernier mot sur des questions parfois triviales.
Navin Ramgoolam pourrait ainsi être entouré de 24 Prix Nobel et toujours trouver moyen d’attendre – pour des raisons politiciennes, tactiques ou occultes – avant d’appliquer leurs suggestions. La réforme qui changera cette manière de faire demeure encore à inventer.


Le dernier « dieu vivant »

Le « dieu vivant » est en voie de disparition.  Le monde, tel qu’il est devenu, ne le laisse plus naître. Le problème, c’est qu’il ne laisse pas non plus mourir en paix celui qui est déjà en vie. C’est ce qu’on peut se dire en constatant le psychodrame qui se joue autour de la fin de vie de Nelson Mandela.

Si l’on enlève à Madiba son aura de figure mythique de l’histoire, il reste l’homme. Qui a dû se battre contre un cancer de la prostate dès la fin des années 1990. Depuis une décennie, l’ancien président de l’Afrique du Sud compose ainsi avec une santé précaire qui n’a cessé de se dégrader. A presque 95 ans, après une longue et intense vie de lutte, l’homme Mandela mérite de se reposer. Mais le monde semble irrésolu à cette idée.

Cette attitude est sans doute dictée par un sentiment de crainte. Une peur du vide. Car le départ de Mandela marquera la fin d’une ère. Celle des personnes d’exception qui ont changé le monde. Time Magazine a ainsi placé Mandela parmi ceux qui ont le plus marqué le 20e siècle et qui continuent à influencer celui en cours. Dans le classement de Time, Mandela côtoyait mère Teresa, le mahatma Gandhi et Martin Luther King. Ils sont tous morts. Et bientôt Mandela ira les rejoindre. Sans avoir laissé au monde un successeur.

Ce n’est pas le médiocre actuel président sud-africain Zuma qui pourra prétendre au legs de Mandela. Ni même Barack Obama, le symbolique premier président noir américain. Pour une raison simple, la surmédiatisation et la « peoplisation » de la vie des personnalités ont annihilé le processus de naissance des « dieux vivants ». Si Napoléon, Lincoln, Gandhi ou Che Guevara vivaient à l’ère de l’information en temps réel et des réseaux sociaux, ils n’auraient sans doute jamais acquis leur aura mythique.

A l’ère de Facebook, Twitter et Instagram, chaque incartade, turpitude ou geste banal peut être capturé, répertorié et livré à la terre entière. Déjà dans les années 1930, un hongrois avait déterminé que chaque humain pouvait être relié à n’importe quelle autre personne dans le monde à travers les relations individuelles de cinq autres personnes (la théorie des six degrés de séparation). Avec son milliard d’utilisateurs, Facebook prétend avoir ramené le degré de séparation à 4,74. Ce rétrécissement de la distance entre les hommes a inévitablement mis à mal la divinité des « dieux vivants ».

mandela

Les grandes personnalités n’ont jamais été rendues aussi facilement accessibles, ordinaires… vulnérables. Car leurs faits et gestes les plus triviaux, capturés par la caméra d’un smartphone ou vus et relatés par un utilisateur de Facebook ou de Twitter se trouvant au bon endroit au bon moment, peuvent désormais être diffusés, commentés et disséqués par des millions de personnes.

Si Che Guevara vivait en 2013, des milliers de « followers » et de « subscribers » scruteraient ses moindres apparitions, rendant impossible sa guérilla. Si Gandhi arpentait encore l’Inde, il y aurait sans doute des personnes pour émettre des théories complexes à l’aide de photos volées sur sa relation avec ses suivantes. Faisant passer au second plan la lutte politique du mahatma.

Mais Gandhi, Che Guevara, mère Teresa et les autres ont disparu depuis longtemps. Il ne reste que Mandela. Consciente qu’elle est en présence du dernier « dieu vivant » à exploiter, la société de la surinformation s’est arrangée pour ne rater aucune miette des derniers instants de sa vie. A coups de dizaines de camions de télévision parqués en permanence devant l’hôpital de Pretoria, de fausses nouvelles de sa mort, et même de théories du complot sur le fait que son décès est dissimulé depuis plusieurs jours, le flot d’informations – parfois totalement futiles – demeure ininterrompu. Le hashtag #mandela continue à « trender » sur Twitter…

C’est cet intérêt outrancier qui a amené Makaziwe Mandela, la fille aînée de Madiba, à s’en prendre aux « vautours » et « racistes » des médias étrangers, en dénonçant leurs préjugés et leur manque de retenue à l’égard de sa famille et de l’Afrique du Sud en général. C’est ce qui a également conduit un journaliste sud-africain à écrire un article incendiaire dont l’ironie cinglante a dérouté jusqu’à ses propres compatriotes.

Par ces temps de morosité planétaire marqués par l’incapacité des hommes les plus puissants – Obama en tête – à régler les problèmes de leurs peuples, le monde cherche désespérément un héros. Mais il ne le trouvera pas. Car le temps des héros est révolu. Le temps de Mandela aussi. Reste l’heure du deuil…

 


Le procès de l’arrogance

Les journalistes ont pris la mouche et leur colère a entraîné celle de leurs lecteurs et auditeurs. Tout le monde s’offusque désormais des paroles de l’honorable Anil Bachoo, qui a jugé que les journalistes ne sont que des « zanimo » et des « malades mentaux ». Puisque nous allons faire le procès de l’arrogance, commençons par nous excuser de la nôtre. Les propos du vice-Premier ministre sont-ils en effet aussi graves et insultants qu’on le pense ? Peut-être pas.

C’est que le bestiaire de la presse locale est riche. On y trouve de vieux hiboux sages dont les analyses sont avisées. Des loups, qui ont organisé et dirigé de nombreuses chasses à l’information et dont la connaissance du terrain est profonde. Une foule de fouines et de renards qui ne cessent de renifler afin de remonter jusqu’à la nouvelle fraîche. La faune de la presse comprend également quelques chevaux fous qui ruent dans les brancards ainsi que des vautours prêts à fondre avec appétit sur des cadavres. Tragiquement, quelques chiens galeux y ont aussi trouvé refuge. Ceux-là vendent leur plume au plus offrant. Pas de doute donc, les « zanimo » pullulent bien dans la presse.

Les fous aussi ! Benjamin Franklin, l’un des pères fondateurs des Etats-Unis, avait une belle définition de la folie : «  faire et refaire la même chose et s’attendre à un résultat différent. » Si ce n’est pas le portrait craché des « malades mentaux » de la presse indépendante, cela y ressemble beaucoup. Avec la même ardeur, les journaux et radios privées révèlent des « affaires » : les zones fantômes de Jin Fei et Neotown, Medpoint, CT Power, Boskalis, le cas Soornack, les Ponzi Schemes, les responsabilités des inondations meurtrières, la saga CNT, MITD, Sarako, les radars routiers… La liste est non exhaustive !

Pourtant, malgré la litanie des faits perturbants, les responsables politiques et administratifs des institutions continuent à jouir d’une sorte d’immunité qu’aucune enquête – quand il y en a une – ou fact-finding committee n’arrive vraiment à mettre à mal. Qu’importe, les « malades mentaux » se bousculent pour s’intéresser au prochain scandale. Sans se soucier du fait que leurs révélations restent souvent sans suite administrative ou judiciaire. Pendant ce temps, le pouvoir, drapé de toute son arrogance, reste hermétique à la critique et incapable d’afficher un quelconque sens des responsabilités.

Pov Bacho^p$$

Le Premier ministre a sans doute contribué de manière décisive à installer un climat d’impunité et d’irresponsabilité au sein de sa majorité en faisant très peu de cas des révélations de la presse. Ramgoolam se satisfait amplement de balancer des « to pou kone ar moi » aux gratte-papiers et de dénigrer leurs capacités de « semi-intellectuels » faisant preuve d’une « ridicule imbécilité ». A coups de tsunami annoncé, mais jamais venu, et de menaces à l’encontre des ministres médiocres jamais mises à exécution, le Premier ministre complète la démonstration de l’impunité régnant au gouvernement.

C’est probablement conditionné par ce climat que l’ancien Attorney General Yatin Varma s’est laissé aller à penser que  sa fonction lui offrait une sorte d’immunité totale ‑ une assurance tous risques ‑ contre laquelle un gamin inconscient et toute une bande de « zanimo » ne peuvent rien. Il sait désormais qu’il a eu tort.

A vrai dire, aucun homme ne mérite la descente aux enfers que connaît Yatin Varma. Quelque part, même si les Mauriciens le jugent sévèrement, ils saisissent aussi la tragédie que vit l’homme, le mari, le père et le fils qu’il est. Ainsi, le bons sens nous conduit à envisager cette toute autre voie que Varma, alors Attorney General, ne semble même pas avoir vue : celle de l’humilité. Il faut en effet se demander où en serait cette affaire, si Varma, quelques jours après s’être emporté contre Florent Jeannot, avait organisé une conférence de presse durant laquelle il aurait simplement et sincèrement présenté des excuses publiques pour son comportement.

Les Mauriciens apprécient les hommes qui assument leurs responsabilités. Nous pouvons affirmer que cet épisode aurait été oublié si Varma avait agi ainsi. Nous pouvons aussi penser que la meute de « zanimo » et de «malades mentaux » serait aujourd’hui en train de courser un autre scandale. C’est ce qui aurait pu se produire. Mais l’arrogance est passée par là.