Après avoir dénoncé le « scandale du siècle » pour ensuite s’acoquiner avec ses principaux protagonistes, le MMM révèle son idée du siècle : rabaisser l’âge légal du vote à 16 ans. D’abord pour les élections régionales, pour ensuite étendre le principe aux législatives. Cet objet politique non identifié, matérialisé ex nihilo par le patron des mauves, a de quoi surprendre. Car à une dizaine de jours de la rentrée parlementaire, Paul Bérenger ne manque pas d’ingrédients pour cuisiner le gouvernement à l’intérieur et hors des murs de l’Assemblée nationale.
Mais le leader de l’opposition a choisi de prendre de la hauteur et propose sa nouvelle grande idée. Présentée comme un game changer de notre démocratie, le droit de vote à 16 ans n’est pourtant pas une avancée aussi cruciale et pressante que voudrait le faire croire le leader des mauves. Si c’était le cas, de nombreuses démocraties, plus dynamiques et progressistes que la République de Maurice, l’auraient déjà adopté. Le vote à 16 ans n’est, en fait, une réalité que dans une poignée de pays.
L’Autriche, le Brésil, Cuba ou la Bosnie Herzégovine figurent, en effet, parmi les quelques rares Etats à avoir adopté ce principe. L’Allemagne et la Suisse sont les deux seules grandes démocraties à permettre aux jeunes de 16 ans de voter aux élections régionales. En Angleterre, si les libéraux défendent avec vigueur le rabaissement à 16 ans du droit de vote, le gouvernement de David Cameron y est, lui, opposé. Les démocraties scandinaves, connues pour leur progressisme endémique, ne font pas non plus figurer ce sujet parmi leurs priorités sociales.
Deux considérations pratiques dictent d’habitude l’abaissement de l’âge du vote. La première est démographique. De nombreux pays, surtout les plus développés, connaissent un phénomène de vieillissement de la population. Ce qui entraîne, dans certains cas, une certaine fixation des mœurs de vote au sein de la population. Permettre aux plus jeunes de voter équivaut, dans ces situations-là, à redynamiser le comportement électoral d’un pays.
Maurice, dans environ 20 ans, sera confronté à ce type de situation. La pyramide nationale des âges montre, en effet, que la population de jeunes régresse au fil des années tandis que la proportion de personnes dans les catégories d’âge supérieures augmente. La question de l’abaissement de l’âge du vote deviendra donc effectivement pertinente. Mais l’est-elle avec autant d’années d’avance ? Ce n’est pas certain…
Parallèlement à la justification politico-démographique, l’abaissement de l’âge du vote semble aussi se justifier du point de vue sociétal. Les Américains avaient conquis le droit de vote à 18 ans en soulignant l’ineptie d’un jeune de cet âge devant aller combattre au Vietnam sans pour autant avoir le droit de voter dans son pays. On pourrait pasticher l’approche américaine en se demandant si le jeune mauricien de 16 ans, légalement apte à avoir une relation sexuelle – et donc à procréer – peut assumer la responsabilité de choisir ses conseillers municipaux et de village ou encore ses députés…
Probablement oui. Le leader de l’opposition semble justifier son initiative en affirmant que les jeunes de moins de 18 ans ont soif d’exprimer leur opinion politique. C’est peut-être le cas, mais veulent-ils le faire dans l’isoloir et à travers les partis politiques installés ? Puisque les études d’opinion politique sondent les Mauriciens en âge de voter, peu de données existent, en fait, sur la proximité politique, voire les comportements électoraux futurs des jeunes de moins de 18 ans.
Toutefois, sans avoir recours aux sondages, des réalités bien locales existent. Il y a, d’une part, la grande dose de tradition familiale dans l’affiliation politique à Maurice. Des familles votent en effet rouge, bleu ou mauve de père en fils. D’autre part, avec le leadership vieillissant des principaux partis, une frange importante de jeunes se dit insensible aux personnalités politiques et aux discours actuels.
L’abaissement du droit de vote à 16 ans pose ainsi un curieux paradoxe. Si une telle décision est appliquée, elle aura trois conséquences. Premièrement, une partie des jeunes de 16 ans votera exactement comme le font déjà leurs parents. Deuxièmement, une autre partie ayant acquis le droit de vote mais indifférente au personnel politique en place ne l’exercera pas le jour du scrutin. Ou alors décidera de voter pour des formations politiques alternatives. En vain, car en l’absence d’une dose de proportionnelle, notre système First Past the Post gomme l’effet du suffrage exprimé par les jeunes en faveur de candidats ou de partis moins établis. En troisième lieu, une infime minorité, séduite par les idées des formations politiques en place et défiant la tradition familiale, choisira un nouveau camp. Situation qui, admettons-le, ne risque pas de faire basculer le rapport de forces politiques dans un sens comme dans l’autre.
Les problèmes les plus complexes ont, en fait, des solutions simples. Si ce à quoi aspire Paul Bérenger est une plus grande participation des jeunes au processus électoral, deux réformes sont nécessaires. D’abord celle, électorale, permettant enfin à toutes les opinions exprimées dans les urnes de compter. Ensuite, celle du leadership politique. Dont le rajeunissement, ainsi que la mise à la retraite définitive des Jugnauth, Bérenger et Ramgoolam, fera croire aux jeunes qu’une vie politique est possible au-delà des leaders inamovibles. Cette réforme-là n’est malheureusement pas pour demain.