Éléphants de mer et boules Quiès

Si vous aimez les documentaires animaliers et vous rendre aux meetings politiques, vous avez peut-être déjà eu la même étrange sensation que nous. Pas plus tard que mardi dernier, le phénomène s’est reproduit.

Les discours des politiciens vociférant sur une estrade sont rarement intéressants. On les trouve encore moins captivants quand, on doit se montrer extrêmement attentif aux propos de chacun afin d’en faire état, par la suite, dans nos colonnes. Mais n’empêche, par moment, malgré tous les efforts de concentration, l’esprit vagabonde. On se met à penser à autre chose.

C’est exactement ce qu’il nous est arrivé mardi. En face, sur l’estrade, accablé par la chaleur, un homme politique débite son discours. Il est vraisemblablement encouragé par la clameur de quelques excités brandissant frénétiquement des drapeaux de son parti. Lui vocifère de plus belle, luttant pendant qu’il parle, pour empêcher qu’un filet de bave ne ruisselle sur son menton. Il n’y a que l’expression créole qui pourrait décrire avec justesse la scène : « Li ti pé kimé. »

Mais même en présence d’un spectacle d’aussi haute facture, le cerveau humain ne peut s’empêcher d’errer. C’est donc ce que le nôtre s’est mis à faire. Mais il n’est pas allé loin. D’abord timidement, puis de manière obsessionnelle, il s’est mis à nous rappeler que ce débit de voix, cette tonalité, bref ce bruit, avait comme un parfum de déjà entendu. Après cinq bonnes minutes à ne réfléchir qu’à cela, l’évidence nous a enfin été révélée !

Cette même vocifération, nous l’avions entendue il y a quelque temps lors d’une émission qui passait sur une chaîne satellitaire. On y voyait d’énormes éléphants de mer mâles, sur les îles Kerguelen dans les mers australes. Ces bêtes, pour attirer des femelles dans leurs harems, poussent des cris assez semblables à ceux de nos stentors de politiciens. La voix off du documentaire expliquait même que c’est le mâle qui hurlait le plus, et dont la voix portait le plus loin, qui était assuré du meilleur succès auprès des femelles.

Les politiciens penseraient-ils, comme les gros éléphants de mer, qu’il suffit de nous casser les oreilles pour attirer notre sympathie ? C’est peut-être vrai. Sinon pourquoi les Valayden, Soodhun, Bérenger ou Ramgoolam hurlent-ils autant comme des gorets. Mais on pourrait aussi penser à d’autres explications. Peut-être qu’ils ne sont pas encore au courant que l’amplification des voix a été inventée depuis le siècle dernier. Et qu’il suffit de parler, et non de hurler, dans le micro pour se faire entendre à des centaines de mètres à la ronde.

Peut-être aussi que pour certains d’entre eux, leurs propres voix les excitent, les incitant à parler… plus vite plus fort, plus haut. Enfin, et là ce serait grave, ils croient peut-être que tous ceux qui viennent les voir en meeting sont des abrutis à qui il faut parler fort pour se faire comprendre. Ce qui serait un comble.

En attendant que nos politiques cessent de nous casser les oreilles, nous ne pouvons qu’encourager les marchands de « pistas salé-boui » et de « gato arouilles » qui peuplent nos meetings de se lancer également dans la vente de boules Quiès. Ils seront assurés de faire de bonnes affaires.

publié le 6 mai 2007


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