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Tout travail mérite salaire

Quand on se fixe des ambitions. Il faut se donner les moyenset les ressources de les atteindre. La politique d’un gouvernement ne vaut donc que par la valeur, la compétence et l’expérience des hommes et des femmes chargés de sa mise en œuvre.

Une polémique semble être en train de naître au sujet des salaires et des traitements dont bénéficient certains ambassadeurs, conseillers et hauts cadres de la fonction publique. Elle n’a pas lieu d’être. Certes, le Mauricien moyen, petit employé de bureau ou ouvrier, ne pourra sans doute jamais dans sa vie empocher Rs 150 000 de salaire à la fin du mois. Mais ce n’est pas une raison pour en vouloir à ceux qui obtiennent ce traitement. Et aux décideurs qui ont choisi de le leur accorder.

La question des salaires de ces personnes demande à être mise en perspective. Il faut déjà dire que le traitement accordé aux diplomates n’a rien de choquant. Kailash Ruhee et Jacques Chasteau de Balyon, respectivement ambassadeurs à Washington et à Paris, touchent chacun environ 4 000 dollars mensuels d’allocation, soit plus de Rs 120 000. Et cela se comprend.

L’ambassadeur de Maurice dans la capitale US ne va pas inviter un journaliste du « Washington Post » à prendre un café dans le « Starbucks » du coin, mais dans un bistrot plus présentable. Jacques Chasteau de Balyon ne conviera pas un diplomate suisse à déjeuner chez l’un des nombreux « grecs » de Paris autour d’un chiche-kebab. Il choisira un restaurant plus cossu des beaux quartiers.

Entretenir un certain décorum, évoluer dans un milieu où il faut perpétuellement recevoir et être reçu, cela a un prix. L’Etat doit pouvoir le payer. Ou se complaire à tenir le rang de pays misérable. À l’Organisation mondiale du commerce, un haut responsable nous avouait, il y a deux ans, que certains chefs de mission des pays pauvres se refusent de participer à certaines rencontres ou à inviter des interlocuteurs intéressants, faute de moyen pour le faire. Est-ce cela que nous voulons ?

Il y a ensuite le cas des expatriés, comme Sudhamo Lal ou Bert Cunningham, tous deux de la « Mauritius Revenue Authority », qui perçoivent des salaires dépassant allégrement les Rs 300 000. Là encore,il n’y a pas de quoi fouetter un chat ! Ces professionnels ont une riche carrière. Ils sont connus et respectés pour ce qu’ils ont pu accomplir dans leur pays d’origine et ailleurs. Et il y a fort à parier que Maurice n’est pas le seul pays qui cherche à s’adjoindre leurs services. Si nous voulons attirer de tels professionnels, à un moment où le pays n’en dispose pas, il faudra les faire venir en leur offrant le package qu’il faut. Il n’y a pas d’autres discussions à avoir à ce sujet.

Mais il y aura sans doute des personnes pour nous faire remarquer qu’on aurait quand même pu éviter d’accorder des packages mirobolants à Anil Kumar Ujoodha, Milan Meetarbhan ou Raju Jaddoo. Ils auraient également tort de dire cela ! Le phénomène de « brain drain » à Maurice est désormais réel. Le jeune médecin qui se forme en Belgique décide parfois d’y rester pour exercer après ses études. L’expert de la finance trouve que l’effervescence et les perspectives de carrière à la « City » de Londres sont quand même plus excitantes que celles qui l’attendent à Port-Louis, dans une grande entreprise ou un grand ministère.

À un moment où le rêve de beaucoup de nos jeunes est d’aller voir ailleurs, on ne peut pas ne pas leur envoyer un signal clair : les professionnels compétents qui restent pour servir le pays seront récompensés.

Les comptables et les financiers raisonnent simplement sur l’opportunité d’une décision ou la viabilité d’une politique. Ils se posent la seule question qui vaille : quel est le retour sur investissement ? Voilà la question qu’on doit se poser à propos de ces commis de l’Etat extrêmement bien payés. En tant que contribuables, nous réglons la note de leurs salaires. Nous devons donc nous demander si Cunningham et Lal aident efficacement l’Etat à récupérer des milliards dans ses caisses, au lieu de les laisser s’évaporer dans la nature.

Nous devons nous demander si l’homme des réseaux qu’est Ruhee aide efficacement à attirer des investisseurs américains sur notre sol et à nouer des relations de travail constructives avec l’administration du moment à Washington. Tout comme nous devons nous poser la question si Rs 150 000 n’est pas un salaire juste quand on sait que le « Board of Investment » que dirige Jaddoo a quand même quelque part aidé à ce que le pays accueille plus de Rs 7 milliards d’investissements directs étrangers en 2006 !

Restent quelques nominés ou proches du pouvoir qui gagnent Rs 100 000, plus, moins… qu’importe. Ceux-là doivent avoir l’honnêteté de reconnaître que seuls leurs liens de vassalité ou les services rendus aux puissants du jour leur valent les traitements princiers dont ils font l’objet. C’est malheureux, mais il faut quand même admettre que tout le monde ne mérite pas non plus son salaire.

publié le 3 juin 2007