Le baiser de Judas

Tous les politiques cèdent, d’une manière ou d’une autre, à cette tentation. Chaque dirigeant – surtout quand il se sent acculé pendant qu’il est aux affaires – finit par penser que le soutien des organisations socioreligieuses du pays est bon à prendre. Grave erreur !

Jeudi dernier, on a eu droit à une véritable démonstration de force du « Front commun national », qui s’est fixé pour mission de soutenir le Premier ministre dans sa volonté d’en demander davantage aux propriétaires sucriers dans le cadre de la Réforme sucre. Déjà, abordons une question de forme. Nous ne comprenons pas pourquoi, très pudiquement, on a qualifié de « socioculturelles » les organisations qui constituent le Front. Appelons un chat un chat. Ce front est un maelström de groupements hétéroclites qui défendent ici les intérêts d’une caste, et là ceux d’une ethnie ou d’une communauté. Le Front ne devrait pas s’aventurer à dire qu’il parle au nom des Mauriciens !

Nous refusons donc de voir dans leur action autre chose qu’une opportunité de bien se faire voir de Navin Ramgoolam. Parlons-en, justement, de lui… Méfiant de nature, le Premier ministre n’a probablement rien demandé à personne. Mais les mauvais génies qui gravitent autour de lui ont sans doute encouragé avec zèle la constitution de ce Front commun. Et se sont aussi assurés, au passage, que la MBC lui accorde un temps de parole phénoménal au journal télévisé de jeudi soir.

Ramgoolam devrait toutefois le savoir. S’associer et laisser associer son action à ce type de Front commun comporte des risques. Le Premier ministre – si prompt à regarder vers le passé pour essayer de tirer les leçons de l’histoire – gagnerait à être le plus réservé possible. Et chercher conseil auprès d’Anerood Jugnauth – qu’il dit respecter – ainsi qu’auprès de son « bon ami », Paul Bérenger. Les deux anciens Premiers ministres lui expliqueront à quel point il est vain de penser que les associations socioreligieuses du pays peuvent être fidèles dans leurs soutiens.

Dans le passé, Les mêmes qui sont allées accueillir en fanfare Anerood Jugnauth à l’aéroport en novembre 1995 ont ensuite appelé – en comité restreint – à voter contre lui quelques semaines plus tard. Bérenger, lui, a appris à ses dépens qu’il ne suffit pas d’être invité régulièrement dans des réunions de telle ou telle « famille » hindoue ou telle ethnie du pays pour s’attirer automatiquement les faveurs électorales du groupe.

Shylock, dans « Le marchand de Venise », demandait sa livre de chair. Nos organisations socioculturelles, socioreligieuses, ou castéistes – appelez-les comme vous le voudrez – réclament toujours leur livre de pouvoir au dirigeant du jour. Et ce, dès qu’elles sentent qu’elles ont pu leur avoir rendu un service. Tantôt, certains réclameront la possibilité de suggérer des noms pour la liste de candidats à une élection générale. D’autres exigeront qu’une personne soit nommée ici, promue là. Ou qu’un licenciement soit gelé là-bas.

C’est ainsi que fonctionnent nos organisations dites « socioculturelles ». Elles ne devraient pas rechigner à avouer que leur but n’est pas de défendre les intérêts du chef du parti de la clé, du soleil ou du cœur. Leur intérêt, constant est de défendre le chef de l’hôtel du gouvernement, quel qu’il soit, en échange d’avantages, de protections et de privilèges divers. C’est aussi simple que cela.

Il ne faut pas aller se compliquer la vie en pensant que des prêtres et animateurs d’organisations culturelles et religieuses se sont fendus d’une réflexion ou encore d’une analyse profonde sur la « Multiannual Adaptation Strategy » du gouvernement. Les motivations sont simples et terre à terre. Nous en parlons simplement !

publié le 18 novembre 2007


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